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Quatre fois par semaine, un groupe de bénévoles se réunit le soir dans un local de via Abbiati pour enseigner l’italien aux étrangers souvent fraichement arrivés à Milan. Pour 5€, ils peuvent pendant un an assister à ces séances qui leur permettront de s’intégrer et de trouver du travail…

Le matin, l’association dispense également des cours pour les femmes au foyer, qui peuvent venir avec leurs enfants, pris en charge pendant qu’elles aussi apprennent la langue. Des femmes qui sans cela n’aurait sans doute jamais la possibilité de parler l’italien, ni d’aider leurs enfants à l’apprendre…

Grâce à Sara, j’ai pu assister à l’une des leçons du soir, à la fois source d’inattendue poésie et belle leçon de vie…

Entre 40 et 50 élèves sont ainsi réunis, venus d’Afrique, d’Asie ou d’Amérique du sud, maîtrisant tous la langue à différents degrés, souvent un italien fait pour la débrouille, sans conjugaisons ni pluriels, et avec juste le vocabulaire nécessaire à chacun: lexique ménager pour les filles, celui des chantiers pour les hommes; des mots qui laissent deviner dans l’instant la profession de chacun…

Les élèves sont divisés par groupes de niveau, et leurs instructeurs improvisent le cours en fonction d’un programme adapté: de l’alphabet au vocabulaire courant, de l’apprentissage des chiffres aux termes nécessaires pour trouver un logement…

Les élèves sont appliqués mais il est difficile de les faire progresser, du fait de leurs niveaux disparates, de leurs origines différentes, et aussi sans doute d’une capacité de concentration assez réduite. Ils n’ont sans doute pas beaucoup fréquenté l’école et se laissent vite distraire- par un bon mot, une fille qui passe ou l’arrivée tardive d’un cousin. Les profs doivent alors enchaîner les thèmatiques et les exercices, pour ne pas laisser s’installer de temps morts qui risqueraient de compromettre la séance entière.

Le volume sonor est impressionant, tous les groupes font classe dans la même pièce, dans des espaces à peine divisés par une allée ou une armoire métallique, sur des chaises agglutinés autour de tables éparses, et les enseignants doivent s’époumoner pour se faire entendre. Seul auxiliaire, un jeune egyptien du quartier installé à Milan depuis plus longtemps que les autres vient leur préter main forte et fait figure de médiateur, à la fois de traduction et de discipline, en contribuant à désamorcer les chahuts. « Tous les soirs ou presque il en vient un, me confie une bénévole, ils se sentent un peu responsables de leur communauté et sont fiers de pouvoir aider les autres »

Une solidarité communautaire qui est souvent la seule richesse de ces jeunes qui arrivent aux cours en groupes serrés, et dont une leçon sur l’orientation en ville montrera qu’ils connaissent les banlieues où se trouvent leurs parents et amis mieux que le centre-ville, où beaucoup n’ont jamais mis les pieds.

Il est d’ailleurs étonnant de voir comment la même ville peut être perçue différemment par les gens qui la partagent, et une même entité revêtir diverses signification: la ligne rouge du métro n’est pas pour eux synonyme de Duomo, de balade dans le parc du chateau ni même de stade San Siro, ils n’en connaissent que les extrémités, des banlieues de Gambara aux chantiers du terminus Sesto.

Et derrière toutes les lacunes, les emprunts au français, à l’anglais ou à l’arabe, on pressent l’importance des mots, la volonté de dire, de bien faire et de plaire. Et quand un jeune chinois, dans une tentative pour utiliser les notions de droite et gauche, lève la main pour nous servir un trucculent « domani a destra piove » (demain à droite il pleut), il est difficile de le corriger sans décourager son enthousiasme et son désir de bien faire.

…Et leur joie à tous d’apprendre la signification du mot grattacielo (gratte-ciel) dit assez leur désir d’apprendre autre chose que le vocabulaire utilitaire courant, de rêver aussi au travers des mots de ce pays nouveau pour eux et dont ils espèrent tant, un pays où un très haut batiment ne serait pas qu’un immeuble de banlieue, mais aussi une sorte d’échelle pour toucher le ciel…

Un immense merci à Sara pour m’avoir fait partager ces moments!

Associazione Alfabeti – via Abbiati 4 – Milano